Monday, October 26, 2015

Imran Qureshi | de sang et d’or






A chaque fois que je passe à Paris, je me réjouis de faire le tour des galeries. Quelle que soit la saison, je suis certain de me faire plaisir.
En septembre dernier, gourmand d’expositions, je fouille dans mes emails et je tombe sur l’invitation de Thaddaeus Ropac intitulée : « Imran Qureshi, Idea of Landscape ». Je suis d’abord surpris de voir que l’un des artistes les plus connus du Pakistan soit à l’affiche à Paris. Je suis encore plus surpris par le titre de l’exposition, « Idée de Paysage ». En effet, je connais Imran pour ses extraordinaires miniatures contemporaines, pas pour ses paysages abstraits. Je suis intrigué.
Armé de curiosité (et d’un parapluie), je me rends donc à la galerie. L’artiste – professeur de 43 ans, a envahi l’espace avec de grandes toiles à dominante rouge. Je repère trois miniatures, perdues dans un si bel ensemble ; ensemble qui sort de la torpeur aseptisée cet habituel cube blanc qu’est la galerie.
Vue de l'exposition d'Imran Qureshi
Vue de l’exposition d’Imran Qureshi à la galerie Thaddaeus Ropac (Crédit : Thaddaeus Ropac). 
Au téléphone, Imran m’explique qu’en fait sa pratique artistique s’articule autour de trois centres d’intérêt : les miniatures, l’abstraction et les installations. Ce dernier a appris l’art de la miniature à Lahore (Pakistan), où il enseigne aujourd’hui. Il me raconte que très souvent au Pakistan les artistes qui réussissent n’hésitent pas à enseigner. « Une façon de renvoyer l’ascenseur », commente-t-il.
La miniature est la base de son travail. Imran a étudié la miniature Kangra et s’en est inspiré. L’artiste y a trouvé des compositions florales complexes, des paysages, une forme de naturalisme… Et, on retrouve tous ces éléments dans ses miniatures contemporaines. Ainsi, les scènes d’amour entre Radha et Krishna, le grand classique du style Kangra, ont laissé place à une forme d’introspection, de réflexion sur soi dans la société actuelle, parfois violente.
L’une des miniatures d’Imran Qureshi - Moderate Enlightenment, 2006, opaque watercolour on wasli paper, collection Brooke Garber Neidich and Daniel Neidish. (Crédit : Franck Barthélémy).
L’une des miniatures d’Imran Qureshi - Moderate Enlightenment, 2006, opaque watercolour on wasli paper, collection Brooke Garber Neidich and Daniel Neidish. (Crédit : Franck Barthélémy). 
On retrouve aussi des éléments de miniature dans les grandes toiles abstraites montrées à Paris. La flore y est l’élément le plus présent. On voit des feuilles, des feuillages et des fleurs rouge sang prendre forme au gré des explosions de couleur. On retrouve la feuille d’or bien sûr, celle avec laquelle l’artiste joue à créer de la platitude et de la vie en même temps. Il me dit que la feuille d’or ajoute une autre dimension lorsqu’elle est apposée sur une toile. La vidéo de la feuille qui tombe sans cesse que l’artiste montre au sous-sol de la galerie évoque aussi la couleur or qui le fascine.
« Quand on appose une feuille d’or sur une toile, dit-il, la vie s’arrête ; on ne respire plus de peur qu’elle s’envole, qu’elle nous échappe ».
La feuille d’or ainsi capturée sur la toile apporte une forme d’espoir, un sentiment bien ancré dans l’œuvre d’Imran. La métaphore rouge/sang et or/vie est facile et d’ailleurs l’artiste l’assume complètement. Il se souvient qu’avant le 11 septembre 2001, l’interventionnisme américain était considéré comme une menace sur l’équilibre de la région. Après cette date fatidique, la menace s’est transformée en violence. La couleur rouge est devenue de plus en plus présente dans l’œuvre de l’artiste, tout simplement parce qu’il la vit tous les jours, parce qu’il en voit des traces parfois ou qu’il en échappe de justesse d’autres fois.
Imran Qureshi n’est pas le seul à parler de ce traumatisme. Il a lu feu le poète révolutionnaire Faiz Ahmad (1911-1984) qui lui a inspiré de nombreux titres d’œuvres dont le principal : « And they still seek the traces of blood ». Imran trouve ses vers simples, faciles à mémoriser, percutants. Et l’artiste d’ajouter que le poète est tellement d’actualité. D’ailleurs il envisagerait peut-être un jour d’illustrer un recueil de ses poèmes, en digne descendant des enlumineurs des cours mogholes.
A parler de couleur et de violence, je n’ai pu m’empêcher de demander à Imran s’il avait lu My name is red d’Orhan Pamuk [roman publié en français par la maison Gallimard en 2002]. « Pas encore, je suis trop occupé par mon travail » répond-il. L’artiste est en effet partout, à la mode très certainement. L’année prochaine s’annonce en plus périlleuse : des expositions personnelles, en galeries, en musées, en Allemagne, aux États-Unis, et en Grande-Bretagne. Il sera bien occupé pour notre plus grand plaisir, en espérant qu’il saura ménager son inspiration.
Son talent est remarquable et je suis un grand fan de son travail. Sans un Ropac qui a été séduit par le travail d’Imran Qureshi en visitant une exposition à Berlin, on n’aurait sans doute jamais eu l’exposition à Paris. Bravo pour l’audace !
Car je ne regrette qu’une seule chose : les galeries se contentent trop souvent de faire tourner des artistes qui sont déjà présents sur la scène internationale sans chercher à aller voir ce qui se passe à Lahore, par exemple, où se cachent d’autres artistes talentueux encore inconnus et qui le resteront sans doute malheureusement.


Full article : https://asialyst.com/fr/2015/10/26/imran-qureshi-de-sang-et-d-or-un-pakistanais-a-paris/